En effet, la loi n°2010-874 du 27 juillet 2010 dite «loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche»[1] dispose que:

Les gestionnaires, publics et privés, des services de restauration scolaire et universitaire ainsi que des services de restauration des établissements d'accueil des enfants de moins de six ans, des établissements de santé, des établissements sociaux et médico-sociaux et des établissements pénitentiaires sont tenus de respecter des règles, déterminées par décret, relatives à la qualité nutritionnelle des repas qu'ils proposent (...).

Ce texte ne précise pas quelles seront ces règles, laissant au gouvernement le soin de les déterminer par des décrets. Ceux-ci sont actuellement (début juillet 2011) encore en préparation, mais leur parution semble imminente et devrait avoir lieu avant la rentrée. On en connaît déjà la teneur, à quelques éventuels détails près: ils reprendront les recommandations édictées en 2007 par le «Groupe d'Étude des Marchés de Restauration Collective et de Nutrition» (GEMRCN), comme l'indiquait la ministre de la santé dans sa réponse à une question du député Yves Cochet portant sur l'organisation de journées végétariennes dans les cantines scolaires[2]:

Cette réglementation, en cours d'élaboration, est appelée à reprendre les recommandations en matière de nutrition du Groupement d'étude des marchés de la restauration collective et de la nutrition (...). Dès lors que l'ensemble des repères de consommation auront été respectés, les gestionnaires des établissements scolaires auront la possibilité d'organiser des repas à thèmes, avec notamment des repas végétariens, le cas échéant.

Il découle cependant de ces «repères de consommation» formulés dans la recommandation du GEMRCN et qui doivent être repris, nous dit la ministre, dans les décrets, que non seulement le végétalisme, mais aussi le végétarisme en général, deviendront, dans l'ensemble des établissements de restauration collective visés, illégaux.

Les recommandations du GEMRCN

Il s'agit d'un document de 69 pages[3] approuvé officiellement le 4 mai 2007 en tant que simple recommandation. Il détaille méthodiquement les caractéristiques des repas qui doivent être servis dans l'ensemble de la restauration collective. Il ne mentionne nulle part le végétarisme[4], se contentant de rendre obligatoire la consommation de viande et de poisson.

Les règles édictées se basent principalement sur des séries de 20 repas servis. Chaque série doit comporter en particulier au moins 4 fois du poisson (§ 4.2.1.4.2), 4 fois de la viande (§ 4.2.1.4.3) et 18 fois du fromage et autres produits laitiers (§ 4.2.1.5.1, 4.2.1.5.2 et 4.2.1.5.3).

En général, chaque repas doit comporter un «plat protidique», ce qui signifie une source de protéines animales, et plus précisément de la viande, du poisson ou des œufs[5].

Il n'est pas prévu de dérogation, sauf dans le cas d'un Plan d'Accueil Individualisé (PAI), réservé aux cas médicaux (allergies, diabète...).

Il sera ainsi possible, comme l'indiquait la ministre de la santé dans la citation ci-dessus, d'organiser occasionnellement dans une cantine des repas végétariens - avec œufs et laitages obligatoires - mais il sera impossible pour les personnes y mangeant régulièrement d'être végétariennes, c'est-à-dire de l'être tous les jours. Quant à être végétalien, ce ne sera pas possible ne serait-ce que le temps d'un seul repas. Une cantine qui accepterait un enfant végétarien sans l'obliger à manger la viande serait dans l'illégalité et risquerait des sanctions.

L'obligation carnée pour une large part de la population

Le végétarisme et le végétalisme restent possibles en France pour qui est adulte, jeune, en bonne santé, économiquement indépendant, seul ou en couple avec une autre personne de mêmes convictions, mais sans enfants.

Le végétarisme et le végétalisme restent donc possibles pour une population limitée, pendant une période limitée de la vie. Par contre, les enfants scolarisés et qui n'ont matériellement d'autre solution que de manger à la cantine ne peuvent pas être végétariens, quelles que soient leurs convictions et sentiments à propos de la consommation des animaux. Il en va de même pour les personnes âgées en hospice, pour les personnes incarcérées, pour les personnes hospitalisées...

Certaines formes de restauration collective, comme la restauration d'entreprise ou les repas distribués aux démunis, semblent échapper à la loi, mais il est à craindre que de fait, elles s'aligneront.

Lors des débats à l'Assemblée Nationale sur la loi du 27 juillet 2010, en réponse au député Yves Cochet qui demandait une journée végétarienne par semaine dans les cantines, le ministre de l'agriculture Bruno Le Maire a déclaré (2e séance du 1er juillet 2010): «le végétarisme est un choix et non une obligation légale: vous ne pouvez imposer une pratique nutritionnelle à l’ensemble des jeunes Français.» Le ministre a raison sur ce point: imposer une pratique alimentaire dans les cantines revient à en faire une obligation légale. Pour «l'ensemble des jeunes Français» - ou non français, et pour bien d'autres secteurs de la population - manger les animaux sera bientôt une obligation légale.

Le refus de manger la viande, outre son impact direct sur le nombre d'animaux élevés et tués, représente un acte de protestation, implicite ou explicite, à l'encontre du traitement des animaux. Le végétarisme, sur ce plan, n'a d'impact que s'il est continu. C'est ainsi que la loi française, sous couvert d'une mesure de santé publique, interdit l'expression concrète d'une conviction.

Le PNNS: une clé de voûte pour bloquer toute remise en cause de la consommation des animaux

Le texte du GEMRCN se réfère[6] au Programme National Nutrition Santé (PNNS), série de recommandations et de directives édictées par les pouvoirs publics à l'intention des professionnels concernés et du grand public. La face la plus visible du PNNS est le site mangerbouger.fr, dont la mention est obligatoire sur toute publicité alimentaire en France.

Le PNNS, comme on peut le constater sur ce site, est ouvertement hostile au végétalisme et ne tolère le végétarisme qu'à condition qu'il inclue une abondance de protéines animales.

texte alternatif

De fait, le PNNS sert de référence unique à l'ensemble des professionnels concernés par la question de l'alimentation en France. C'est lui qui «justifie» les règles de la recommandation du GEMRCN, lequel à son tour «justifie» l'interdiction du végétarisme dans les cantines. De proche en proche, l'opinion du PNNS vis-à-vis du végétarisme et du végétalisme imbibe la totalité de la société française. Un juge qui doit décider de la garde d'un enfant dans une procédure de divorce où un des conjoints est végé se basera sur l'avis d'un expert qui lui-même s'est fondé sur le PNNS. Un médecin, dont les connaissances en matière de nutrition sont généralement limitées, se basera sur le PNNS pour expliquer à ses patients qu'il est nécessaire de manger de la viande pour le fer et du lait pour le calcium. C'est le PNNS qui, directement ou indirectement, amène les services sociaux à considérer toute famille végétarienne comme une famille potentiellement maltraitante. C'est à partir de la position du PNNS que la population française se trouve infectée de part en part par l'idée selon laquelle le végétarisme, et le végétalisme encore plus, sont des alimentations «restrictives», compliquées et dangereuses, et qu'il ne peut donc pas être question de remettre en question le grand massacre des animaux pour leur chair et les autres produits de leur corps.

Et sur quoi se fonde cette position négative du PNNS? Il semble impossible de le savoir. Interrogé sur ce point, le site mangerbouger.fr a renvoyé à l'ANSES[7]; mais l'ANSES, interrogée à son tour par mail puis par lettre recommandée, ne semble pas vouloir répondre[8].

De fait, la position du PNNS est mensongère. Ce n'est pas le lieu ici de montrer à quel point les arguments mis en avant sont matériellement faux ou trompeurs, quand ils ne sont pas tout simplement absents; mais aussi, il y a quelque chose de surréaliste dans le fait devoir démontrer, encore aujourd'hui, qu'il est possible de vivre, et de vivre bien, sans manger la chair des animaux et les produits de leur exploitation, comme si l'expérience de millions de gens dans le monde, et l'avis des médecins et nutritionnistes autres que français, ne comptaient pour rien. La position des autorités sanitaires françaises tient du négationnisme - de la négation obstinée d'une réalité patente.

Mais le débat sur la légitimité de la consommation de la viande, et plus généralement sur le statut des animaux, est de nature non nutritionnel, technique, mais éthique et politique. Si nous devons répondre au négationnisme des autorités par des arguments nutritionnels et en premier lieu en faisant valoir la simple existence des végétariens et végétaliens qui sont, autant que n'importe qui, vivants et en bonne santé, il importe de ne pas nous laisser enfermer dans le débat technique et de mettre en lumière le fait que les discours officiels à caractère prétendument scientifique reviennent à étouffer et à confisquer le débat éthique et politique sur le statut des animaux non humains en le transformant en un non-débat technique réglé par des décrets prétendument justifiés par la science mais dont on ne veut même pas communiquer les fondements au public[9].

Notes

[1] La loi intègre ce passage dans l'article L230-5 du Code rural et de la pêche maritime (disponible sur le site legifrance.gouv.fr).

[2] Réponse publiée au Journal officiel le 30/11/2010; en ligne sur le site de l'Assemblée Nationale.

[3] Texte complet sur le site du ministère de l'économie (ou par http://tinyurl.com/GEMRCN).

[4] L'unique mention - voilée - du végétarisme est le paragraphe 2.4, qui affirme qu'il est important que les personnes suivant des «régimes restrictifs» mangent de la viande et du poisson - autrement dit, qu'il importe que les végétariens ne le soient pas.

[5] Exemple, §4.2.1: «La variété des plats protidiques est essentielle : poisson, bœuf, volaille, veau, porc, agneau, œufs, et abats, intéressants pour leur forte teneur en fer, toutes ces variétés doivent être bien représentées.»

[6] Voir par exemple le préambule du document.

[7] Il semble effectivement que la responsabilité du PNNS soit dévolue à l'ANSES («Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail», www.anses.fr), organisme né de la fusion récente de l'AFSSA et de l'ANSET.

[8] Voir sur le site de l'Initiative Citoyenne pour les Droits des Végétariens.

[9] Auteur: David Olivier. Texte disponible en formats .pdf, .odt et .doc sur http://grenier.david.olivier.name/2....